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Une gouvernance éclairée pour naviguer les transformations organisationnelles
Par Kenza Berrada et Nicolas Morneau
Dans le contexte actuel complexe et instable, les transformations organisationnelles deviennent une réalité courante. Les organisations doivent s’adapter à des changements rapides, impulsés par des avancées technologiques, un marché compétitif et des attentes en constante évolution des clients, des employés et des autres parties prenantes.

Pourquoi la gouvernance des transformations est-elle essentielle aujourd’hui ?
Dans le contexte actuel complexe et instable, les transformations organisationnelles deviennent une réalité courante. Les organisations doivent s’adapter à des changements rapides, impulsés par des avancées technologiques, un marché compétitif et des attentes en constante évolution des clients, des employés et des autres parties prenantes.
La notion de transformation organisationnelle est récente et a évolué au fil du temps. Autrefois, elle était souvent synonyme de restructuration se limitant généralement à un changement de modèle organisationnel. Aujourd’hui, les transformations sont plus vastes, plus rapides et affectent un nombre croissant d’aspects de l’organisation. Leurs impacts sont désormais majeurs et durables.
Des transformations d’envergure aux impacts profonds
Selon le concept People, Process, Technology crée par Deloitte, les transformations organisationnelles comptent 6 dimensions clés : la technologie, la mission, l’analytique et les données, les processus, la capacité d’entreprise, ainsi que les humains et l’organisation. Elles se distinguent des changements à portée moins large, moins complexe et moins profonde. Il ne s’agit pas seulement de réaliser des projets d’optimisation des outils, de l’environnement de travail, des processus, des systèmes ou des dynamiques de restructuration. On parle désormais de transformations d’envergure qui impactent le modèle d’affaire de l’organisation. Elles peuvent toucher ses offres, sa mission, sa culture, son leadership, ainsi que les compétences et les comportements clés de son personnel.
Devant ces transformations continues et incessantes, une gouvernance claire, proactive et holistique — alignée aux objectifs stratégiques — est essentielle pour assurer une saine gestion de l’organisation. Sans une telle gouvernance, l’organisation risque de vaciller, réagissant sous la pression plutôt que d’anticiper les défis avec lucidité.
Cet article présente les clés de succès pour instaurer une telle gouvernance. Il met également en lumière le rôle central de l’architecture d’entreprise, véritable carte et colonne vertébrale de cette démarche. L’objectif est clair : anticiper les difficultés, saisir les opportunités, et, surtout, bâtir une organisation agile, capable de s’adapter rapidement, efficacement et de manière durable pour prospérer dans l’imprévisible.
La gouvernance, un système au service de la transformation organisationnelle — perspective et rhétorique
Selon McKinsey (2019), 70 % des transformations organisationnelles échouent, principalement en raison de facteurs humains. Plus précisément, ces échecs sont liés à l’environnement de travail qui ne permet pas toujours aux individus de devenir de véritables acteurs de changement. D’ailleurs, 67 % des leaders affirment avoir récemment vécu un échec dans ce domaine (EY, 2021). Parmi les enjeux humains, la gouvernance joue un rôle central. Le mot « gouverner » tire son origine du grec kubernáô, qui signifie « piloter un navire ». Platon fut le premier à utiliser cette métaphore pour parler de la gouvernance des hommes. Alors, comment piloter efficacement une transformation organisationnelle ? Et surtout, comment guider les hommes et les femmes qui la vivent au quotidien ?
La gouvernance désigne le système et l’ensemble des règles qui encadrent le fonctionnement d’une organisation ou d’une initiative. Elle englobe divers éléments, dont la répartition des rôles — y compris ceux des instances structurelles —, la circulation et le partage du pouvoir, ainsi que les processus de décision et de validation qui soutiennent l’organisation. Mais la gouvernance ne se limite pas à l’organigramme. Elle consiste aussi à définir les espaces relationnels qui sous-tendent la structure formelle. Il s’agit de réfléchir à la manière de créer un nous collectif : un nous qui collabore dans la confiance, même à travers les tempêtes ; un nous qui donne du sens à la mission, incarne les valeurs et nourrit la culture de l’organisation. Une gouvernance proactive vise à anticiper les obstacles, à réduire les silos, à lever les freins à l’action, et à faciliter les décisions et l’exécution des plans de l’organisation.
En contexte de transformation, il faut bien distinguer la gouvernance de l’organisation et celle de la transformation. La gouvernance de l’organisation constitue la base de son fonctionnement courant, tandis que la gouvernance de la transformation vise spécifiquement à encadrer et piloter les initiatives de changement. Ces deux formes de gouvernance interagissent étroitement. Elles évoluent en parallèle, parfois de manière superposée, et il est crucial de positionner la gouvernance de la transformation pour qu’elle soit au service de la gouvernance globale — et réciproquement. La gouvernance de la transformation se distingue aussi de la gouvernance de projets. En effet, une transformation organisationnelle peut inclure plusieurs projets, sans s’y limiter. Tous les projets ne relèvent pas nécessairement d’une transformation, et inversement.
Adopter une approche holistique de la gouvernance — en intégrant les dimensions technologiques, humaines, culturelles et économiques — permet d’enrichir la démarche de transformation. Cela maximise les résultats et assure la pérennité. Une telle approche facilite aussi l’anticipation et la gestion des impacts, car ces différentes dimensions sont interdépendantes.
1. Modèles de gouvernance de la transformation
Existe-t-il un modèle optimal de gouvernance de la transformation ? En réalité, il n’y a pas de modèle unique. La gouvernance de la transformation varie selon les contextes, les enjeux d’affaires et les structures organisationnelles. Par exemple, le Bureau de la transformation peut être rattaché à la direction générale, notamment lorsque les transformations sont alignées sur les grandes stratégies d’affaires de l’entreprise et impactent l’ADN de l’organisation. Il peut aussi relever de la direction des technologies de l’information (TI), si les changements sont principalement d’ordre technologique. Dans d’autres cas, il sera plutôt associé à la direction des ressources humaines, afin d’intégrer et d’accompagner les changements humains profonds qui traversent l’ensemble de l’organisation.
Souvent, la gouvernance de la transformation émerge à l’initiative d’un porteur clé, motivé à faire progresser cette démarche dans l’organisation — généralement au sein d’une unité d’affaires directement concernée par les transformations en cours. La gouvernance évolue alors de manière organique, au rythme des transformations et de leurs impacts. Une approche proactive permet souvent d’élever cette gouvernance à un niveau stratégique dans la hiérarchie organisationnelle. Historiquement centrée sur les technologies de l’information, la gouvernance de la transformation a progressivement intégré les processus, pour aujourd’hui s’orienter vers l’humain. Il est donc essentiel d’adapter son modèle de gouvernance à la réalité propre de chaque organisation.
2. Critères de succès d’une gouvernance de la transformation optimale
Se poser les bonnes questions
Avant toute chose, une organisation doit s’interroger sur les raisons qui motivent sa transformation, et sur les objectifs qu’elle cherche à atteindre. D’autres questions structurantes se posent par la suite pour définir le modèle de gouvernance adapté.
Elles sont multiples :
- Comment intégrer la transformation dans l’organigramme ?
- Comment clarifier les rôles et responsabilités et surtout, comment les communiquer ?
- Quels sont le mandat et l’offre de services de l’équipe responsable des transformations ?
- Qui incarne la transformation au sein de l’organisation ?
- La direction est-elle inspirante et connectée aux réalités du terrain ?
Leadership, gestion du changement et gestion de projet
Le leadership, premier pilier de la transformation, est au-devant de la scène. Il incarne la vision, le sens et la direction stratégique de la transformation. Il porte les valeurs qui la soutiennent et a la responsabilité de les diffuser à tous les niveaux de l’organisation. Il inspire les équipes et prend les décisions majeures. Sans porteur et éclaireur pour guider la transformation, l’incertitude, l’ambiguïté et l’instabilité peuvent rapidement décourager les équipes, freiner leur engagement et leurs résultats.
Le second pilier clé de la gouvernance de la transformation est la gestion du changement. L’équipe ou l’entité au centre des transformations doit veiller à accompagner le changement qu’elle guide. C’est un changement en soi. Le structurer de manière rigoureuse, efficace et holistique amplifiera l’impact de sa mission, à savoir, de transformer les affaires et l’organisation. A titre d’exemple, sans engagement des équipes, la transformation n’aura pas lieu:
Créer l’environnement adéquat et mettre à disposition les ressources nécessaires pour encourager les employés à devenir acteurs de changement dans les grandes transformations organisationnelles est un incontournable. L’organisation ne changera qu’au travers de l’humain et l’humain ne se transformera qu’au contact de la transformation sur le terrain.
Enfin, la gestion de projet est le moteur de l’exécution des différentes initiatives qui découlent des transformations. Ce troisième pilier se concentre sur la planification et le suivi des projets, en garantissant le respect des délais, du budget et des objectifs fixés.
Les bonnes personnes à la bonne place
Afin d’assurer la pérennité des transformations et garantir une continuité, il est important de bien identifier les porteurs de la transformation, de placer les bonnes personnes à la bonne place, de le communiquer et de s’assurer que ces acteurs s’engagent dans une perspective à long terme où régularité et consistance sont de mise. Ceci nécessite d’abord de rester centré sur les besoins et les intérêts de l’organisation avant de considérer ceux des individus et les enjeux relationnels qui les relient. Autrement dit, il importe d’analyser le contexte de manière cartésienne avant d’intégrer les dimensions politiques et de rapports de pouvoir pour choisir les porteurs de la transformation.
Il suffit ensuite de préparer les différents acteurs au bon moment, notamment en clarifiant les rôles et les responsabilités de chacun de manière précise. Souvent, de nouvelles dynamiques relationnelles émergent, s’installent et fluidifient la collaboration — laquelle gagne petit à petit du terrain au sein des équipes clés de la transformation. La confiance s’installe et devient une force face aux défis. Elle permet de mieux naviguer les périodes de turbulence, lorsque les vagues du changement sont grandes ou que l’avenir semble incertain et risqué.
Parallèlement, certains acteurs peuvent jouer des rôles clairement définis dans le pilotage et le déploiement des transformations. Les équipes dédiées aux technologies et à l’architecture d’entreprise sont responsables de l’alignement des systèmes et des processus avec la stratégie globale. La direction des ressources humaines s’assure de mettre l’humain au cœur des transformations en menant des initiatives comme le développement des talents et du leadership, la gestion de l’expérience-employé (EX) ou la promotion de la culture du changement.
Enfin, les partenaires externes apportent leur expertise pour structurer et accélérer les transformations. Ces rôles interconnectés et complémentaires forment un système cohérent et efficace pour mener à bien les transformations organisationnelles.
Les décisions au bon niveau de gouvernance
Peu importe le modèle de gouvernance de la transformation adopté, celui-ci doit être le plus près possible de la direction générale et des décisions stratégiques majeures de l’organisation. Ceci permet d’inscrire la transformation dans une démarche proactive et holistique. À défaut de cette connexion, l’organisation s’expose à des risques qu’elle devra mitiger.
Pour être optimale, la gouvernance de la transformation doit s’intégrer à tous les niveaux : stratégique, tactique et opérationnel. Elle repose idéalement sur trois instances complémentaires : un comité exécutif responsable de la direction stratégique, un comité de gestion responsable de la coordination et de la cohérence des transformations, et un comité opérationnel ou équipe noyau qui pilote les projets et initiatives qui en découlent. En veillant à ce que les décisions soient prises au bon niveau, la gouvernance devient l’affaire de tous — chacun y contribue à son niveau. Souvent placées à un niveau opérationnel, les équipes noyau constituent le cœur battant des transformations donnant vie à la vision sur le terrain.

Une étude McKinsey intitulée A new operating model for people management : More personal, more tech, more human recommande aux organisations de mettre en place une équipe centrale composée de leaders seniors des affaires, des ressources humaines, des finances et des technologies de l’information pour coordonner la cohérence des transformations à un niveau tactique ou stratégique.
Les pit stops d’alignement
Parallèlement à tous ces critères de succès, les turbulences constantes et l’avenir incertain — propre aux transformations —, ainsi que l’évolution progressive des organisations vers des structures plus plates, axées sur la collaboration, l’innovation et l’intelligence collective, exigent une gouvernance flexible et agile à tous les niveaux. Les pit stops d’alignement jouent un rôle clé : ils permettent de rester plus près des réalités de l’organisation et d’ajuster les pratiques de gouvernance lorsque cela s’avère nécessaire.
3. L’architecture d’entreprise : Un levier stratégique et une carte qui guide et accélère les transformations
Dans une organisation en mouvement, il est parfois difficile de garder le cap. Les transformations se succèdent, les repères changent et les chemins qui semblaient tracés deviennent incertains. Dans ce contexte, l’architecture d’entreprise (AE) agit comme une carte stratégique, offrant une vision d’ensemble qui éclaire les décisions et soutient la cohérence d’action.
Loin de n’être qu’un outil technique, l’AE contribue à relier les différentes dimensions de l’organisation : les processus, les systèmes, les données, les rôles, les technologies, mais aussi les intentions. En mettant en lumière les interdépendances souvent invisibles à l’œil nu, elle aide à repérer les zones de tension, à éviter les doublons et à recentrer les efforts là où ils comptent. C’est cette boussole silencieuse qui permet d’avancer avec confiance, même dans l’incertitude.
Elle permet aussi de faire émerger des scénarios, d’imaginer plusieurs futurs et de modéliser les risques pour mieux les apprivoiser. Grâce à elle, la transformation n’est plus subie : elle devient réfléchie, pilotée et orchestrée.
En fin de compte, l’architecture d’entreprise nous rappelle que l’on peut agir avec intention au cœur de la complexité. Elle aide à bâtir une organisation résiliente capable de rester fidèle à son identité tout en évoluant vers ce qu’elle aspire à devenir. Elle ne se contente pas de tracer le chemin : elle donne du sens au mouvement.
En conclusion
Les transformations organisationnelles ne sont plus de simples événements ponctuels : elles sont devenues une réalité permanente et incontournable pour toutes les organisations. Dans ce contexte, une gouvernance proactive, claire et holistique s’impose. Elle permet d’anticiper les défis, de saisir les opportunités et de placer l’humain au cœur des changements.
En s’appuyant sur des leviers stratégiques comme l’architecture d’entreprise, les leaders peuvent non seulement naviguer avec assurance dans la complexité, mais aussi renforcer durablement la résilience et la compétitivité de leur organisation.
Reste alors une question clé : comment poser un diagnostic pertinent et structuré pour orienter ses choix et mettre en place une gouvernance véritablement adaptée à son organisation ?
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